Transcription enseignement oral 11 et 14 /04 /2021

Un éclairage sur le karma dans la tradition du yoga
Éclairage de la lignée, Mataji et Gabriel. Les 3 aspects du karma

Le karma, en occident c’est parfois presque comme une malédiction. Une compréhension limitée et négative.
Le pourquoi et le comment

Quand on dit « c’est mon karma », ce n’est pas franchement un bonheur, en général on le déplore avec résignation, comme une fatalité. Et on croit que l’on peut tout  expliquer, or ce n’est pas vrai. Ce peut même être dangereux et cruel. Dans les épreuves nous devons nous méfier des personnes qui veulent nous expliquer le pourquoi du comment, et de ceux qui veulent nous dire « ah ! Tu as tel ennui,  alors tu dois voir pourquoi » et le pourquoi nous tue,  nous culpabilise parce qu’on se dit «  qu’est-ce que j’ai fait pour mériter cela ? ». Le Bouddha élevé dans l’hindouisme a très bien repris et éclairé cet enseignement des Upanishad, un peu comme Jésus dans le nouveau testament a éclairé l’ancien testament. Il disait «  Si une flèche vient te blesser tu ne commences pas à te demander en quel bois est la flèche, d’où elle vient, qui l’a envoyée…non demande comment retirer la flèche, comment faire pour guérir. » C’est le COMMENT qui prime sur le POURQUOI. C’est vraiment une base dans le bouddhisme, dans  la voie du juste milieu. D’ailleurs c’est intéressant dans le bouddhisme il n’y a pas de théorie sur le comment a été créé le monde….
Donc quand quelque chose nous arrive et nous fait mal, ou fait mal à l’autre, la première chose est que cette épreuve n’est pas forcément explicable et nous devons arrêter de fonctionner dans une causalité où finalement on pourrait accuser , les autres, le monde, Dieu ( livre de Job dans la bible)… On cherche à qui s’en prendre et on finit par s’accuser soi-même entrant dans la culpabilité. J’ai toujours été déchirée en entendant, par exemple  «Il, elle, s’est fait un cancer» comme si la personne subissait cette épreuve parce qu’elle avait mal vécu. C’est abominable. Nous connaissons tous des personnes qui  ont toute sorte d’épreuves et à répétition, et qui sont des êtres rayonnants. Vraiment, on aimerait être aussi ouverts et aussi bons et beaux…Cela pose d’ailleurs une autre question sur la souffrance traversée qui fait grandir… c’est très important de dire cela avant d’expliquer le karma  tel que me l’a enseigné Mataji.

Le karma est une façon de donner du sens à ce qui advient. En fait la vie n’a pas de sens c’est nous qui choisissons une signification parmi toutes celles qui seraient possibles pour échapper à l’absurde et à la folie de ne pas pouvoir comprendre. On en choisit une et nous sommes responsables de celle que nous choisissons, c’est aussi une grille qui nous permet de réfléchir et prendre en main notre destin. Mataji l’enseignait ainsi : Nous croyons être libres, mais en fait nous  le sommes peu parce que nous sommes tributaires de nos vasanas (de notre inconscient) et les vasanas dépendent du karma.

Trois aspects du karma.

Le Saṃcita-karma : C’est le karma de toutes nos vies passées (dans la vision indienne, on passe de vies en vies jusqu’à ce que l’on ait épuisé toutes les vibrations qui doivent éventuellement être vécues). Il y a un karma immense qui a été créé par toutes « nos » vies. On peut l’entendre d’une façon générale. Mais c’est un karma qui n’est pas germé. Il n’est pas activé dans la situation présente. Par la pratique, par la ferveur, par la méditation on peut le brûler. Elle disait la méditation brûle le karma latent,  tout ce qui était là et qui pourrait éventuellement nous nuire en nous emprisonnant (enfer). Mais le bon karma n’a pas besoin d’être brûlé, simplement il s’évapore dans notre gratitude si nous le dédions sans attachement. Par exemple nous sommes ici privilégiés, ce n’est pas une « faute » à expier, mais cela nous engage à donner car nous avons beaucoup reçu. . De  ce karma, on ne s’occupe pas vraiment, sauf en le brûlant par la méditation.

Le Prārabdha-karma : Le karma germé c’est comme des graines qui sont la résultante des fruits. Quand une partie est germée on ne peut pas arrêter le processus. C’est déclenché. Donc nous avons à le voir et à l’assumer. C’est SAT, Ce qui est. Personne n’a le même jeu de cartes à la naissance, mais nous sommes invités à « jouer » la partie dans la meilleure orientation possible.
Ce sont les lois de causalité qui ont fait que nous sommes ici, aujourd’hui, dans un corps, un corps humain, un corps sexué, un corps qui vit dans une époque particulière, dans une civilisation particulière, porteur d’hérédité, de tout ce que nous avons vécu et qui conditionne notre façon de vivre les événements, notre façon de voir, de penser, etc… Cela semble aller à l’encontre de la liberté. Par exemple la loi de l’entropie. Nous sommes nés et nous sommes voués à disparaître. En plus la mort n’est pas forcément rapide et accidentelle. On sait que nous allons vers la décomposition de ce corps qui a été composé et que tous les êtres que nous aimons  vont mourir. Donc il y a une douleur inhérente à l’incarnation et à l’amour qui est la séparation d’une façon ou d’une autre. Sans compter que les états psychiques vont mourir aussi, ça va beaucoup plus vite que les corps, ça concerne les ruptures amoureuses, les oublis, les ingratitudes….Cela EST Il n’y a pas d’autre réalité et ça ne sert à rien de trépigner, de se révolter, sinon pour se faire du mal. Nous nous rendons malades de ne pas accepter ce qui est. Accepter ne veut pas dire être d’accord, se résigner, Inch’Allah. Cela ne veut pas dire être dans la fatalité du « on n’y peut rien ». Évaluer la situation et acter les réponses adéquates…Un peu comme un chirurgien a qui on amène aux urgences une personne dans un piètre état, il ne va pas commencer à se ronger les doigts. Non il fait ce qu’il y a à faire à partir de la situation à laquelle il est confronté. C’est ça accepter. Cela nous amène vraiment à être acteur de notre vie et ne pas la subir. Non seulement être acteur, mais transfigurer la situation par notre amour.

Illustrations Jésus, Shiva, Socrate
Je pense à une très belle parole de Jésus que cite Jean Yves LELOUP, quand il va faire le passage (la Pâques) c’est-à-dire qu’il va changer d’état. Il subit quelque chose de profondément injuste, violent, douloureux…et  il dit « Ma vie on ne me la prend pas, c’est moi qui la donne ». C’est-à-dire qu’il transforme par  son consentement profond la situation dans laquelle il est, pour ne pas être comme un fétu de paille emporté par une destinée. Il redonne sens à son épreuve dans cet assentiment à ce qui est et même dans cette ferveur, il la transcende et rayonne. Un sens de rédemption, c’est dans la religion chrétienne, mais pas que…il y a la même histoire avec Shiva. Shiva est en méditation et il va arriver une horrible catastrophe qui va empoisonner toute la planète et faire souffrir tout le monde. C’est un poison terrible et en Inde se sont les femmes, Shakti, qui agissent. La shakti, la femme de Brahma court vers Shiva, lui tire son chignon en arrière, et lui déverse le poison dans la bouche, parce que lui est un grand méditant et donc il doit pouvoir prendre tout le mal en lui. Alors la shakti de Shiva lui serre la gorge pour qu’il n’avale pas. Cela lui fait une gorge bleue et c’est Shiva Nilakanta (gorge bleue) qui rayonne son amour. En fait il porte toute la douleur du monde, mais il ne s’empoisonne pas avec. Néanmoins il la garde en lui et il la fait danser, il devient Nataraja le Seigneur de la danse.
Cette notion de passer l’épreuve en renaissant après les ténèbres, c’est la Pâque, c’est Pessah, c’est un passage. Cela veut dire faire le passage et ça veut dire perdre. Forcément quand on passe d’un état à l’autre, d’une rive à l’autre, on perd le côté d’où l’on vient. Cette perte peut être terrible, mais elle nous change. Souvent l’épreuve brise la carapace en particulier de théories que l’on s’est mis autour du cœur et c’est une mise à nu. Il y a une transfiguration. Pour les chrétiens, dans la période entre Pâques et l’Ascension, Jésus est ressuscité, on ne sait pas trop ce que cela veut dire, mais en fait il n’est pas comme avant. Il est là juste pour quelque temps et il est différent, composé autrement. En fait quand nous traversons un passage, nous nous transmutons et nous ne serons jamais comme avant .L’épreuve fait peut être grandir en nous quelque chose de l’ordre de l’offrande. Elle fait du sacré (sacrifice : faire du sacré). C’est difficile mais c’est fondamental. C’est le seul sens que l’on peut donner.

Le Āgāmin-karma ou kriyamāṇa-karma: C’est le karma que l’on fabrique actuellement que nous semons. Tout ce que nous disons, pensons ou faisons, porte fruit, sème des graines et créé les conditions de demain. Chacun de nos petits choix. Et ça nous donne une liberté extrême,  une dignité de responsabilité. C’est assez complexe mais à chaque fois que l’on s’approche d’une vérité profonde on rencontre le paradoxe. Donc chaque jour, nous sommes responsables de ce que nous semons pour demain. Et là nous voyons la différence entre destinée, destination et destin. Quand on se tourne en arrière,  on regarde et on se dit il y a eu ça et ça et ça a abouti à ça aujourd’hui dans notre vie, on le lit comme un destin.
Cependant on est libre, car quand on se tourne vers l’avant, on ne sait pas. N’importe quoi peut arriver, n’importe quand. Et nous choisissons notre destination, nous posons des actes, des choix qui font que le karma de demain sera infléchi par rapport au karma d’aujourd’hui.

Ce que nous faisons ce jour peut avoir des répercussions que nous ne pouvons pas imaginer. On peut être en train de réparer quelque chose, au-delà du temps et de l’espace. On ne sait pas. Et on n’a pas besoin de savoir, car si on le sait notre ego va s’en emparer et on va se couper de la sève vivante. On retrouve la gratuité de l’acte, le karma yoga développé dans la Bhagavad-Gîtâ. C’est ce que dit Krishna à Arjuna : quoique tu fasses, tu agis, parce que même la non action est un acte. Tu produis des actes et tu me les offres tu me les dédies et tu n’attends pas de récompenses. « Fais ce que dois » comme disaient les chevaliers. Ne t’attache pas aux fruits de l’action. Ce que nous appelons échec est peut-être pour mieux apprendre. Faisons ce qui nous semble juste et ayons la conscience tranquille. Et le karma en tant que chaîne de causalité n’existe plus. Il est fondu si l’on peut dire. Ainsi, souvent, dans une relation, on peut faire ou dire ce qui nous semble juste mais nous ne sommes pas responsables du cheminement de l’autre.
Je reviens à mon maître Gabriel et à la physique quantique. Quand on regarde les particules, c’est la loi du hasard. On ne sait jamais prévoir leur parcours qui semble aléatoire ; et dès qu’on les observe ça change. L’observateur transforme l’expérience, influe sur ce qui est observé. C’est extraordinaire. Cela veut dire que nous ne savons rien mais notre façon de recevoir ce qui advient transforme ce qui est. Ça veut dire qu’il n’y a pas fatalité. Il n’y a pas de pénitence dans le sens jouissance sadomasochiste. En inde et plus encore dans le christianisme, le mot ascèse, (tapas en sanskrit c’est l’ardeur, le feu l’ardeur du désir de l’infini), s’est transformé pernicieusement en une forme d’accusation et de culpabilité. Ce karma est celui qui devient actif par notre réponse aux événements, il nous donne notre dignité de sujets responsables et non coupables.

Si je résume:
se résigner c’est subir ;
accepter c’est être acteur ;
consentir et offrir c’est passer au plan de la ferveur où l’on offre tout ce que l’on est et tout ce qui arrive parce que l’on a été touché par la Présence et qu’il n’y a pas d’autre liberté.