LES BRAHMAVIHARA
Transcription d’un enseignement oral du 24 janvier 2021
Revenons sur les Brahmavihara, je relis le petit poème qui est au tout début du texte qui est sur le site.
Roue ailée
Tenir au centre d’une croix
La roue ailée des paradoxes
L’Amour sans ruse et sans pitié
Creuse un espace spiralé
Tenir au centre d’une croix (ce sont ces axes, abscisses et ordonnées, le vertical et l’horizontal), c’est la reliance à l’Infini depuis le centre de la terre, mais c’est aussi la reliance horizontale à tous les êtres, et c’est pourquoi, quand on ouvre les bras dans le mudra « clé de vie », on garde une pliure aux coudes, de façon à ce que ce soit un geste d’accueil, et pas étiré)
Retenons déjà que l’amour nous creuse, comme dans les grottes que nous sommes allés visiter pour certains, l’amour creuse un sanctuaire, un espace en nous vers l’infini et pour l’ego parfois c’est une torture d’être creusé. Il creuse, nettoie le tube de toutes les impuretés et il nous met en apprentissage. Il y a toutes sortes d’amour, mais l’amour en fait est un dieu, est DIEU et il se manifeste de mille et une manières et toutes les manières sont intéressantes, sont des rayons.
Simplement respire entre les rayons
Danse et tourne avec cet instant
Immobile et qui roule un courant
Que tu ne peux saisir : respire
Et tu seras le centre étoilé.
C’est important ce centre étoilé, lui-même a des rayons. Nous ne restons pas au centre dans la voie du cœur qui est une voie tantrique, nous prenons tout ce qui est et nous n’essayons pas d’échapper à l’incarnation en étant immobile en méditation, coupé des autres, dans une pratique qui nous anesthésie dans la relation aux autres , au TOUT AUTRE. On n’essaie pas de trouver cet état, que l’on a caricaturé dans le bouddhisme, on a dit le nirvana, il n’y a plus rien. Ce n’est pas du tout ça le bouddhisme. Ce n’est pas s’échapper. L’amour nous empêche de nous échapper parce que c’est une vibration, spanda. Cette roue ailée tourne constamment, nous sommes dans l’incarnation, nous sommes dans la dualité, nous sommes dans les paradoxes et nous sommes dans ce courant qui nous porte. Si nous essayons de l’inverser ou de l’arrêter, nous nous faisons mal, nous nous noyons parce que nous nageons à contre-courant.
L’amour est cette roue ailée qui nous demande de respirer entre les rayons et non de nier les rayons. Il y a donc toutes les formes de l’amour. C’est d’abord un souffle. D’ailleurs si l’on reprend la clé de vie, elle est souvent tournée vers le nez, les narines du dieu, soit dans un sens soit dans l’autre. La clé c’est de respirer, c’est le souffle. Si vous regardez les papyrus, vous verrez et c’est cette clé de vie (ankh) qui signifie le souffle. Nous ne pouvons pas arrêter le souffle en arrêtant de respirer. Juste quelques instants de pause Dans cette pause le mental souvent s’arrête et souvent dans la méditation nous utilisons la conscience du souffle et à un moment, on ne sait plus si on respire. L’inspir et l’expir se confondent parce que nous devenons le souffle. Alors l’amour est là étincelant, à la fois incarné et au-delà de tout. Dans la méditation l’instant est immobile. Mais, le mental revient. J’aime cette image qui dit le mental produit des pensées comme la bouche produit la salive. Nous pouvons regarder notre mental comme nous regardons notre respiration, comme nous regardons toutes les composantes que nous sommes, les regarder avec bienveillance. L’instant est immobile, mais en même temps nous dansons.
Revenons sur les Brahmavihara :
Nous devons exercer Maitri dans les Brahmavihara. Nous devons l’exercer d’abord envers nous-mêmes. Nous devons être plein de bienveillance. Si je ne m’occupe pas de moi, je vais peser sur les autres parce que les autres vont vouloir s’occuper de moi. Donc bienveillance inconditionnelle envers soi. Bien sûr nous essayons de nous mettre au mieux possible dans notre corps. Mais dans notre corps la bienveillance inconditionnelle ne nous dit pas de nous rouler en boule sous une couette en train de manger du chocolat, ce qui va nous faire du mal… Nous savons que nous avons des pratiques qui nous font du mal. C’est à nous d’être vigilant, de nous redresser. Nous ne sommes pas un tas de boue, pour ne pas dire une bouse, effondrés sur le sol, attendant que l’autre, les autres, la vie…nous redresse. Actuellement, c’est très important cette bienveillance envers nous-mêmes, elle nous demande de nourrir ce qui nous fait du bien. De refuser de nous laisser empoisonner à longueur de journée par toutes sortes de paroles que nous pouvons entendre. Ne pas nourrir en nous le contraire de l’amour, nourrir la malveillance, la méfiance, la rancune et le ressentiment. Nous sommes actuellement confrontés à une épidémie, bien plus grave encore que ce virus, qui est une épidémie de colère, de déni, de mensonges et d’accusations. Cela nous fait énormément de mal et cela n’est pas la bienveillance inconditionnelle. Nous devons repérer la malveillance et nous redresser, nous positionner.
Une question était sur l’équilibre entre KARUNA (compassion) et UPEKSHA (équanimité).
Je reprends une stance qui dit, c’est un espace. Incommensurable.
Dans un sutra bouddhiste il est dit : je demeurerais ( je tiens bon, ) en faisant rayonner un esprit de bienveillance (MAITRI) dans un quartier de l’univers, puis dans un second quartier, le troisième , le quatrième ( les BRAHMAVIHARA) et même au-dessus, au-dessous, à travers et partout dans sa totalité ( espace spiralé) envers chacun comme envers moi-même, je demeurerais en faisant rayonner dans tout l’univers avec un esprit imprégné de bienveillance large profonde, élevée, incommensurable (qu’on ne peut pas mesurer) sans haine et libéré de toutes inimitiés, je demeurerais dans la bienveillance (MAITRI).
On peut le dire aussi pour les trois autres, je demeurerais dans la compassion (KARUNA), je demeurerais dans l’équanimité (UPEKSHA) et je demeurerais dans la joie (MUDITA).
Je reviens aux VIHARA, les VIHARA se sont des demeures, mais ce sont aussi des attitudes, des dispositions intérieures, des choix d’orientations. Nous choisissons ce qui nous nourrit, ce qui nous colore, nous sommes responsables de ces choix. Ce sont les choix d’aujourd’hui qui vont faire les conditions de vie de demain. Nous le voyons très bien quand nous tournons notre regard sur notre vie déjà écoulée qui ressemble à un destin, on a été libre parce qu’il y a le karma qui fait que nous récoltons ce que nous avons semé. Mais nous n’en sommes pas prisonniers parce que l’amour transcende tout, transfigure tout. Le pardon est une clé de l’amour. Et se pardonner à soi est très important, quand on regarde en arrière on voit que ça dessine, et quand on regarde en avant on ne sait rien d’autre que nous allons mourir. Donc la vie est infiniment précieuse. Nous pouvons donc choisir les traces que nous allons laisser. Comme l’amour ne se saisit pas, il demeurera toujours. On peut être dessaisi de tout ce qu’on a saisi. Cette pandémie est un beau cadeau : On a pu réaliser que c’est du cœur de notre fragilité, du cœur de notre impuissance que nous pouvons nous incliner, nous redresser et trouver l’amour. La force vient de l’aveu de notre fragilité. On le sait dans nos relations de personne à personne, si nous disons à quelqu’un « tu m’as fait ci, tu m’as fait ça, tu es vilain… ».Je pense tout à coup à cet horrible acharnement sur le mâle blanc, c’est vraiment l’homme à abattre. C’est terrible, on se fait des boucs émissaires. Si on lui dit « tu es un mâle et donc tu es violent, violeur, tu es blanc donc tu es raciste et tu as écrabouillé le reste de la planète et tu as épuisé les ressources.. » on peut dire « c’est toi qui a fait la shoah, c’est toi qui as fait le racisme…on pourrait revenir dans l’histoire, il y a de quoi faire… on dit à l’autre « c’est toi qui m’embêtes avec ça » Mais ça ne marche pas. On peut dire JE, le fameux message Je, c’est du psychisme, on peut dire « je souffre de ta position » « Maman tu me colles trop, j’ai besoin d’ouvrir mes ailes » Si on réagit en disant « comment, je te colle ? « Alors on barre le TU. On peut dire « maman c’est essentiel pour moi, j’ai besoin de vivre, d’ouvrir mes ailes, de sauter du nid » quand je dis Maman, ça pourrait être tout autre personne. On dit sa souffrance, par exemple, « j’ai peur mais je vais essayer quand même ». Je pense à tous ces jeunes qui doivent trouver les ressources en eux-mêmes parce qu’ils sont extrêmement limités. J’ai une image que je vous donne. Je découvre qu’il y a des canards qui nichent dans les arbres à cause des prédateurs. Quand les petits canards naissent et qu’ils ont trouvé leurs forces, ils sont au bord du vide, c’est terrible parce qu’ils doivent se jeter dans le vide en essayant de tomber sur leurs pattes. Ils se redressent et ils y vont. Imaginez qu’ils quittent un espace où ils sont protégés et se jettent dans le vide. Pour moi c’est se jeter dans l’amour.de la vie, dans oser.
Je reviens aux VIHARA, les demeures, qu’on appelle aussi des grottes, des monastères, sont des attitudes intérieures qui nous demandent de nous tourner vers l’extérieur dans toutes les directions (droite gauche, haut bas..).
Et dans ces attitudes il y a d’abord MAITRI qui est une bienveillance, qui nous guérit de la malveillance, qui très souvent s’exerce envers nous-mêmes dans une non confiance en soi, une espèce d’accusation. Tout ce qui arrive peut être d’abord accueilli avec bienveillance. C’est le côté inconditionnel : d’abord avec bienveillance. Un peu comme un présumé coupable est innocent à priori. Après il peut y avoir une analyse clairvoyante (viveka) une discrimination (de crimen : trier, comme on trie le grain) pour voir clairement, ce qu’il en est. Nous faisons des choix. Je fais le choix ce matin d’être avec vous. Nous exerçons notre discrimination et nous savons qu’il y a toutes sortes de situations où nous devons répondre avec justice et miséricorde. Il n’est pas question de tout avaler. Cette bienveillance est un équilibre qui se danse entre la justesse (justice) et la miséricorde. Qui se danse entre les deux autres qui sont souvent face à face :
KARUNA (la compassion) et UPEKSHA (l’équanimité).
C’est là que l’on peut souvent se demander comment faire. Si la compassion devient une pitié, un apitoiement, (amour sans ruse et sans pitié) on peut tomber dedans et on se noie. On peut tomber dans le chagrin, la tristesse. La tristesse c’est quand même le contraire de la joie, le contraire de ce qu’il nous est demandé de rayonner. Nous pouvons être horrifié (horreur c’est les poils qui se redressent sur la peau, c’est un frisson), mais nous ne pouvons pas rester là-dedans. Nous ne pouvons pas rester au niveau de notre peur, nous devons rentrer à l’intérieur et trouver UPEKSHA, ce recul intérieur au centre. Voir la vie, l’univers comme un immense opéra où chacun joue sa partition. Ce n’est pas du tout l’indifférence, ce n’est pas une ruse non plus, mais nous ne sommes pas embarqués. Je reprends le texte pour UPEKSHA et KARUNA. KARUNA, c’est souhaiter que tous les êtres soient débarrassés de la souffrance. Il faut donc d’abord que nous nous débarrassions de la souffrance, que nous sachions que la souffrance est contagieuse et que nous devons veiller à ne pas entretenir notre souffrance, à «l’encadrer » (il y a en chacun des espaces de chagrin, des espaces de souffrance immenses..). Nous pleurons, certes, mais nous ne restons pas la dedans. Nous demandons, par exemple à Avalokitésvara (Tchenrézi en tibétain) au bouddha de compassion ou à toute autre figure… Jésus a vécu la croix physiquement, autant dire que c’est une horrible torture qui fait mourir par perte de souffle, en plus. Mais est-ce que c’était quelqu’un qui était tout le temps en train de mal vivre ? Dans la souffrance ? Il essayait de guérir ce qu’il pouvait et il transmettait une joie, un amour. Quand il traverse un champ de blé, il froisse les épis. Et des malveillants lui disent « mais c’est shabbat, tu n’as pas le droit de faire ça » et il répond « mais le shabbat, la bienveillance, la bonté du repos accordés aux êtres est fait pour les hommes et les hommes ne sont pas faits pour le shabbat, c’est l’inverse, vous êtes en train de tout inverser ».
Donc nous ne sommes pas faits pour la souffrance. Nous ne partageons pas la souffrance nous sommes en compassion. Nous sommes ensemble (cum), nous ressentons ensemble. Nous sommes dans cette tendresse et dans cette fraternité avec tous les êtres, dans ce chagrin impuissant pour tous ceux que nous ne pouvons pas guérir, sauver, que ce soit un enfant maltraité ou des peuples entiers et nous restons reliés parce que nous restons au centre, parce que nous avons une force au centre, parce que l’amour est en nous au centre, sinon nous ne pourrions pas. Sinon nous allons sombrer dans la pitié, dans l’apitoiement, dans le dégoût de vivre, dans la honte de bien vivre. Par exemple, certains d’entre nous vivent bien le confinement, très bien même, au moins dans certains espaces privilégiés. Ce mot privilégié…Nous sommes tous privilégiés, ne serait-ce que de partager ce dimanche matin comme ça. Vient alors cette espèce de honte malsaine d’être privilégié avec cette course à essayer de payer le prix du privilège, en essayant de donner, donner, on ne sait pas quoi, peut être donner notre pitié…Ce n’est pas ça la charité, l’Amour ne nous rend pas indigne.
C’est UPEKSHA qui dit, si je prends le texte plus fondamental hindou du Vème siècle avant JC, dont Bouddha a été nourri, (Bouddha l’Eveillé, celui qui avait la buddhi donc l’intelligence, il n’était pas seulement dans la bhakti, il était dans la buddhi), ce texte dit : « les hommes demeurent égaux dans la paix quels que soient les événements bons ou mauvais, qu’ils soient libres de partialité, d’attachement et d’aversion ». C’est cette équanimité face à la manifestation, c’est voir au-dessus c’est comme le mot épiscope (scope : voir, epi : au-dessus). Donc voir clairement sans sombrer dans le marécage de l’attachement. Ça guérit de l’inquiétude, du pessimisme, c’est un regard d’amour qui ne s’enlise pas. Quelque fois on voit St Michel tenant une balance, reprise de la figure de THOT en Egypte qui pèse les âmes. Cette image de la balance, de l’équilibre est très ancienne, je suppose que même aux temps préhistoriques on a essayé de mesurer, de trouver un équilibre. Nous devons trouver l’équilibre, nous ne sommes pas immobiles, n’oublions pas que nous dansons dans les Vihara. La compassion peut parfois nous amener les larmes aux yeux, certainement. Je pense que lire des fictions, regarder des films, des œuvres d’art, nous accoutume à tester cette balance parce que nous vivons intensément dans un autre corps, dans une autre vie, nous vivons des émotions et ça nous nettoie, ça nous permet de vivre la LILA, de vivre SPANDA la vibration et en même temps nous sommes confortablement assis dans un fauteuil. Nous ne sommes pas cela et quand c’est fini, c’est fini. C’est un côté qui nous initie à UPEKSHA. Nous sommes profondément émus, mus hors de nous, nous ne restons pas dans notre petit moi enfermés, et en même temps nous savons que c’est « buée sur buée » comme dit le Qohéleth, le fils de David dans l’Ecclésiaste dans la bible, « souffle sur souffle, tout est souffle, tout passera ». En particulier, l’amour que nous voulons saisir passera, passe, a passé .Nous avons aimé des êtres qui maintenant ne sont plus dans leur corps. Nous ne pouvons pas les saisir, ni même les toucher, mais nous continuons à les aimer. L’amour est toujours là. Ça c’est un amour qui ne saisit pas C’est un amour qui nous met dans le quatrième VIHARA, la joie infinie MUDITA. Et pour les êtres qui sont encore autour de nous, que nous pouvons encore toucher ou qui sont plus loin, le confinement nous apprend à être reliés, sans pouvoir saisir.