commentaires des Brahmavihara,
et réflexions sur l ‘amour.

Transcription d’un enseignement oral du 27 -01-2021

Quatre attitudes comme les branches d’une croix, ou les parois d’un cube qui nous permettent de tenir et de rejoindre au centre sacré une sorte de cosmos.
Dans la mythologie hindoue  , Brahma est le dieu créateur et comme il a créé, il n’y a en Inde qu’un seul temple qui lui soit dédié, à Pushkar. On voit bien Brahma avec toutes ses têtes qui regardent dans tous les sens. Il les a prêtées à Shiva. Et il y a Vishnou qui maintient tout ce qui est créé et qui sauve régulièrement la création par des manifestations appelées avatars. Jésus et Bouddha sont considérés par les hindous comme des avatars, parce qu’ils sont envoyés sur terre pour sauver le monde. En fait c’est Vishnou qui se manifeste, en particulier par Krishna. Et Shiva, c’est Mahesvahra, le grand dieu qui relie tout, qui impulse le mouvement de la vie, qui décompose pour recomposer  que ce soit les plantes, les planètes, nos cellules…etc. Pour qu’il y ait du neuf il faut tout le temps qu’il y ait de la destruction et que l’on apprenne à ne pas essayer de saisir, de s’attacher et de garder.   Un grand dieu, c’est souvent le dieu des yogis. La voie du cœur est reliée au shivaïsme tantrique.Ce sont les déesses Shaktis aux innombrables formes et noms qui manifestent tout cela. Elles sont le pouvoir de l’action.

Je reviens au BRAHMAVIHARA .
Etymologiquement ce sont les demeures de l’infini dans les 4 directions (HBDG) sachant qu’il y a un centre. Donc c’est une croix mais ça tourne. Roue ailée, comme on représentait Mercure (Hermès) dans l’alchimie.

« Tenir au centre d’une croix
 la roue ailée des paradoxes,
l’amour sans ruse et sans pitié
 creuse un espace spiralé
Respire entre les rayons,
danse et tourne avec cet instant immobile
et qui roule un courant que tu ne peux saisir:

Respire
Et tu seras le centre étoilé.»

Voyez bien le paradoxe entre l’instant immobile et le courant qu’on ne peut saisir. Respire et tu seras le centre étoilé. Etre au centre mais ne pas négliger le reste, ne pas effacer toutes les composantes de l’incarnation, de la LILA, la MAYA, la grande magicienne, la Shakti, qui donne les apparences de la vie et qui anime la dualité. Les VIHARA sont dans les textes anciens de  l’hindouisme et cela a été affiné par le bouddhisme. Ils employaient le mot pour dire monastère ou grotte, parce que souvent les monastères étaient dans des grottes. C’est un peu comme les points cardinaux dans les mandalas, en rond, en spirale, en mouvement.

MAITRI : le souhait que tous les êtres trouvent le bonheur et les causes du bonheur. C’est une bienveillance, amitié universelle, une gentillesse « inconditionnelle »(en sachant de quoi on parle). Ça guérit de la méchanceté, de la malveillance, du jugement et de l’auto dénigration, rejet de soi, de la haine de la vie aussi. Chez les mystiques parfois, le fait d’avoir touché un état absolu, infini au-delà de la matière peut mettre en aversion ce monde, comme si on était en exil, « vivement qu’on meure ! ». Ou alors on se fait du mal on a confondu l’ascèse (en sanskrit TAPAS l’ardeur) qui n’est pas se faire mal pour gagner le paradis. Cette bienveillance est une forme de lâcher prise où l’on a à priori une attitude d’accueil et d’acquiescement à tout ce qui est et à tous ceux qui sont autour de nous, avec discrimination cependant. Dans une voie « respirituelle », garder la vigilance ( bien veiller) pleine d’amour de soi . C’est une injure face à notre nature infinie, divine, nature de bouddha, de nous faire du mal ,de ne pas prendre soin de nous. De considérer comme Platon que « Le corps est une prison ».C’est une injure et c’est un poids pour les autres. On en rajoute dans le poids du malheur du monde et cela oblige l’autre à se soucier de nous si  nous ne prenons pas soin .
Ensuite il y a la bienveillance envers tous les êtres. Nous ne sommes pas seuls. Il ne sert à rien d’être bienveillant envers soi-même, dans l’absence des autres.  Nancy Huston vient d’écrire un livre qui s’appelle «  je suis parce que nous sommes». C’est bien évident. Il n’y a pas opposition entre la bienveillance envers tous les êtres et KARUNA, qui est la compassion tournée vers la souffrance, vers l’acceptation de rencontrer la souffrance de l’autre, des autres, du monde, de la terre. On n’est pas dans sa bulle, sauvé tout seul. Comme Le boddhisattva qui fait le vœu de ne pas être sauvé tout seul ; comme Jeanne d’arc qui ne veut pas aller au paradis si tout le monde n’y va pas. C’est accepter de se mettre en contact avec ce qui fait vraiment mal et notre profonde impuissance. Nous ne pouvons pas être responsables du bonheur de ceux qu’on aime… impuissance matérielle et psychique. Cette douleur c’est aussi de voir les ennemis du monde, ceux qui nous attaquent. Comment sont-ils devenus comme ça ? On ne sait pas mais on ne se coupe pas. On se met en action même pour ceux qui sont très lointains. C’est parfois plus difficile d’aimer quelqu’un de notre famille qui est particulièrement pénible que d’aimer tous les gens en général .C’est aussi aimer le lointain, pas toujours en action, en dédiant par exemple, notre pratique, notre souffle, notre vie, en ayant conscience que nous sommes comme des galaxies toutes reliées dans la voie lactée. Bien que nous ne sachions pas ni comment ni pourquoi, peut être que si nous avons une respiration consciente, à l’autre bout du monde, ou bien à une autre époque puisque le temps n’existe pas, ça va soulager quelqu’un…cela donne beaucoup de sens à notre pratique et on peut éprouver une profonde tristesse devant ce mal mais ne pas s’apitoyer. « Amour sans ruse et sans pitié »ça s’apprend. Au départ on peut avoir tellement mal pour l’autre, puis on se rend compte que le fait d’avoir mal pour l’autre va lui instiller une vibration de découragement, de tristesse. On reste sensible (KARUNA) mais on passe vers  UPEKSHA de l’autre côté. Souvent je les mets comme dans une balance parce que UPECKSHA c’est voir au-dessus, c’est avoir ce regard qui part de l’essentiel, du centre et qui voit que nous sommes dans les rayons de la vie, embarqués dans l’incarnation. Garder une âme égale, une équanimité. Voir du dessus sans désordre émotionnel, sans vouloir avoir du résultat pour notre action, comme dans le karma yoga, comme ce que demande Krishna dans la Bhagavad gita. C’est guérir de l’inquiétude et du pessimisme amer, essayer de trouver une vision sereine où on ne s’identifie pas à la peine et au malheur. Ce n’est ni une anesthésie, ni une fuite, c’est un regard d’amour qui ne s’enlise pas. C’est un travail d’ajustement. Quelquefois on est un peu trop dans UPEKSHA, en prenant des distances, quelquefois on est un peu trop dans KARUNA. Parfois, on dit « moi je m’en fous, je suis dans ma bulle » et on est un peu trop dans la bienveillance envers soi qui devient narcissisme égocentré. C’est toujours un curseur à ajuster…

Et puis il y a MUDITA. C’est un souhait de joie, cette joie qui ne nie pas l’épreuve. Elle permet, même dans l’épreuve de retrouver le centre, le cœur, le sens. Il y a une part de nous qui n’est jamais née, qui ne mourra jamais, qui n’est pas déterminée par l’époque, le sexe…toutes les données. Cette part de nous qui est une poussière d’étoile, au delà de tout, et cette part de nous est Joie imprenable. Les indiens disent « tu es Sat chit Ananda ». MUDITA n’est pas exactement comme Ananda, la félicité absolue. MUDITA a des opposés, par exemple la tristesse comme enlisement ou alors la joie mauvaise. « Ah je vous l’avais bien dit…et vous allez voir, ce n’est pas fini. ». Cette joie est un peu comme une divinité auprès de laquelle on peut puiser beaucoup. Il faut s’en occuper, vérifier qu’elle n’est pas régulièrement attaquée par des bouffées de cynisme, de désespoir, de découragement, de tristesse et de malveillance envers soi. Nous n’avons pas le droit d’étouffer la joie en nous, la Présence en nous qui est notre guru intérieur. C’est l’Infini en nous et nous n’avons pas le droit de le couvrir de cendres. Pour cela il nous faut revenir au centre, et tenir les quatre dimensions dans les paradoxes.

Dans les paradoxes il y a l’amour inconditionnel et celui qui se manifeste dans différentes formes. L’amour n’est pas abstrait. C’est toujours l’amour de quelqu’un ou de quelque chose. Même l’amour de notre petit chat peut ouvrir des espaces d’amour infinis .Beaucoup de mes élèves de 6éme me parlaient de la mort de leur chat et ça ouvrait en eux une profonde dimension.
Les différentes formes d’amour….(Porneîa… ) Bien sûr que nous avons besoin d’être aimé parce que c’est le premier pas pour rencontrer l’amour. En plus si nous ne rencontrons pas ce besoin d’être aimé par nous-même, nous le demanderons aux autres ou bien nous voudrons constamment le déverser sur les autres. On peut devenir très vite sauveur ou s’illusionner de vouloir aimer sans condition. Dire «  je ne suis qu’amour » et au fond être plein de rancœur. C’est difficile de le voir parce que cette forme de haine des autres est nourrie par un sentiment profond de rejet de soi, d’indignité.
Où est la limite ? Nous avons tous connu une personne qui vient nous voir pour décharger sur nous toute sa peine, c’est notre frère, notre sœur qui a besoin qu’on l’écoute, que l’on soit accueillant, bienveillant, que l’on reconnaisse sa souffrance. Mais nous ne devons pas nous identifier à cette souffrance. Dans ce recul que nous devons trouver, voir quel est le temps imparti avant qu’il s’étale et s’enlise. C’est au cas par cas, parfois il faut laisser mûrir, et parfois il faut canaliser, couper et proposer de faire un pas de côté pour éviter que l’autre ne s’enfonce dans son marécage (rappel de URVARYU dans le Triyambakam …) Se laisser guider par  l’amour de cette personne dans le plan où elle est vraiment, poussière d’étoile. Mais elle peut être aussi enfermée dans sa colère qui devient vite du ressentiment, dans son refus des contraintes…etc. Là on doit l’arrêter : peut-être simplement en détournant la conversation, lui permettre d‘arrêter son vertige et regarder ailleurs. C’est à nous de voir, dans cet amour, notre vigilance responsable.
Nous pouvons aussi  nous perdre, nous noyer. Dans le bouddhisme ancien, caricature du l’enseignement du Bouddha, on dit : «  rien n’est rien, tout est illusion, nous n’existons pas, n’ayons aucun désir pour ne pas souffrir….» Par contre les tibétains disent combien nous sommes infiniment précieux.
En fait on peut se perdre dans un océan, n’être plus que l’océan et oublier que l’océan a une surface avec des vagues, il change de couleur constamment, et nous ne sommes plus dans les vibrations de VIHARA , de l’incarnation, on est ailleurs. Dans le yoga j’entends souvent : « il faut atteindre l’éveil, être éveillé ensuite il n’y aurait plus rien à faire ». Mais non, c’est toujours déjà là, on n’a pas besoin d’être éveillé puisque qu’on l’est de toute éternité, simplement nous ne sommes pas au rendez-vous. Nous allons au Rdv puis nous repartons…c’est la joie des retrouvailles. Par exemple quand on a perdu ses clés, on les cherche et quand on les retrouve on est très content. Alors qu’autrement on n’est pas spécialement content d’avoir des clés… Donc ne pas se faire du mal en voulant être parfait, éveillé une fois pour toutes. Nous sommes dans la vie. C’est ça la Voie du cœur. L’Union des contraires, toujours à réinventer.