Le temps (31 mai // 2 juin)

Le thème du temps…, celui que nous « prenons », de vivre, de respirer, d’aimer…et la bagarre parfois avec le temps qui file et génère un combat épuisant !
Le temps est-il notre ami ? Car « si pas maintenant, quand ? » La question nous ramène aux racines de notre être.
Qui suis-je ? Les événements de ma vie ? La couleur de mon regard en ce moment ? L’élan qui me porte à donner sens à ma vie ?

 

Très tôt les êtres humains ont pris conscience du temps.
Certes le temps n’existe pas sur un certain plan, mais  le temps est inscrit dans notre corps, dans notre respiration,  dans tous les cycles.
Les êtres humains ont cherché à comprendre le temps. Il y a deux approches différentes :
– orientale : c’est plutôt la roue, la répétition cyclique, le samsara.
– occidentale (très marqué par la religion du Livre).
Le temps a une dimension linéaire. Une notion de perte du paradis, d’un avant, qui donne la couleur de l’aujourd’hui, et d’une attente de quelque chose qui va être mieux ensuite.
L’attente du Messie pour les juifs, pour les chrétiens c’est l’attente de l’apocalypse.
Nous avons été configurés dans un espace où nous sortons du passé pour aller vers l’avenir, et nous pouvons avoir une tension et une idée du progrès, qui est beaucoup plus occidentale qu’orientale.
De plus, en ce moment, on a cette idée de l’effondrement, d’un temps qui va aller de plus en plus mal.
En Inde et en orient, Il y avait aussi les âges d’or, un paradis perdu. Nous sommes dans le Kali yuga (le Yuga de Kali, de la Mère divine, un temps qualifié de mauvais.) Penser que c’était mieux avant, est très discutable si l’on étudie l’histoire.
En Inde il y a aussi l’attente des avatars : Des formes de sauveurs, Vishnou se réincarne (la dernière fois en Krishna) quand tout va très mal pour aider les êtres à survivre et traverser les épreuves.

Cette conscience des cycles a amené les hommes à mesurer le temps. Par exemple avec des Clepsydres (qui a donné cette image du temps qui s‘écoule) puis avec des horloges.
Les horloges étaient des cadrans avec un centre, et des aiguilles qui indiquaient les heures sur le pourtour.
La notion du cycle était représentée. Très récemment on a fabriqué des montres carrées et des heures « carrées ».
Ce n’est plus le temps qui fluctue en tournant, c’est « clac, clac, clac », c’est complètement émietté et ça peut engendrer un stress dans la représentation « coupée » du flux de vie.

 

La vision indienne du temps c’est Kali, Kala (Shiva) Durgha, la mère :
C’est la mère que l’on aime, que l’on protège, que l’on implore, mais contrairement à ce qui s’est transformé dans la Vierge Marie ou dans Isis, elle n’est pas que positive.
Quand les êtres humains ont commencé à essayer de se faire une représentation de l’infini, ils ont surtout inventé des déesses parce qu’ils connaissaient la naissance, sans avoir connaissance de la procréation.
Donc la figure du temps était féminine, la grande mère comme Durgha en INDE. Une grande mère à la fois généreuse et terrible. Il aurait été dangereux de rester accroché à la mère, sous son emprise et en même temps c’était la mère nature qui apporte aussi bien les orages et la végétation .
Elle fait peur parce que c’est elle qui entraîne la roue du temps et qui fait que chaque jour nous perdons la journée, le moment présent.
En fait c’est la mort de chaque instant au fur et à mesure. Elle (figure féminine de Shiva)  danse avec le temps et nous délivre (comme on parle de délivrance quand on retire le placenta), elle nous délivre de l’attachement au passé.
Nous savons combien la relation à la mère dans le psychisme, est très ambiguë, parce que c’est souvent assez compliqué. Il faut à la fois s’en détacher, parfois s’en éloigner, et en même temps pouvoir la voir fraternellement, voir en elle celle qui a été en gestation de nous. Le temps s’est inscrit dans son corps à partir de la fécondation et elle a laissé mûrir en elle ce temps qui fait un miracle, la mise au monde d’un précieux corps et qui a pris pour nous beaucoup de temps.
Shiva, danse avec le temps.
On dit qu’il est destructeur parce qu’il détruit ce qui n’a plus lieu d’être. Il s’agit toujours d’expirer pour être inspiré, de détruire pour renaître. Ne pas être un « sachant » figé dans ses théories, mais d’être toujours apprenti, de laver son regard et d’oser perdre pour inventer du nouveau.
Quand on voit Shiva (Kala) en train de danser couvert des cendres des bûchers funéraires, on a une vision négative.
Mais il permet la naissance. C’est une joie particulière de renoncer à figer notre inscription dans l’incarnation et de savoir que d’autres vont être insufflés par cette vie.
Dans cette vision indienne il faut retenir le rythme et la bonté.
A Calcutta, on a vu Durgha, d’abord adorable puis  la langue sortie pour boire le sang du démon, ça peut faire peur et on l’honore, on lui fait des chapelles extraordinaires (pangal) et au bout d’une semaine on la dépouille de tous ses bijoux.
Elle est en argile non cuite. On la jette dans la Ganga (Hooghly) et elle se fond dans le courant.
C’est vraiment une fête. Les femmes se mettent du rouge sur les joues en signe de fécondité (sang menstruel ?). Et tout le monde chante et danse.
Il y a cette idée qu’il ne faut pas s’attacher à la forme qui serait alors une idole. On retrouve cela en occident avec le carnaval.
Il y a Shiva qui danse, avec la roue de feu autour de lui et il y a le centre, le grand Mahakala.
Shiva a toujours un pied levé il est en équilibre sur cet instant qui ne va jamais durer, il va falloir poser l’autre pied et écraser l’ignorance, en particulier l’illusion que quelque chose peut durer dans les formes.
On le voit chez les tibétains, pour lequel il y a un rituel chaque soir dans les temples bouddhistes.
Mahakala est représenté comme une affreuse divinité, les dents sorties, courroucé. On le voit dans tous les temples.
C’est détruire l’ignorance, éliminer chaque jour ce qui doit être détruit. C’est la délivrance par la mort. C’est le grand temps, le temps hors du temps.
Donc c’est l’axe,  notre axe vertical quand on respire, qui nous inscrit dans l’Essentiel et qui fait que le temps n’existe pas. C’est un jeu, une maya, une magie pendant notre incarnation. Au-delà du temps il y a l’éternité.
« Le temps est une image mobile de l’immobile éternité » (St Augustin)

Pour les grecs, il y avait trois visions du temps.
– Chronos, l’écoulement irréversible, rien ne dure. L’écoulement peut être rapide ou lent. Parfois on voudrait retenir les heures et d’autres fois on trouve que ça passe trop lentement.
Ça dépend de nos attentes. Un petit poème d’Apollinaire dans un temps où il était en prison disait ceci :
« Que lentement passent les heures
comme passe un enterrement,
tu pleureras celles où tu pleures
qui passeront trop vivement »
Chronos avale nos jours, notre énergie si elle est limitée à la périphérie de notre vie démunie de centre.
– Aiôn  est la vision de tous les cycles, la durée, vue du centre. Un peu comme Mahakala.
Aiôn c’est le temps extrêmement long. On utilise ce mot en géologie. C’est une durée qui relie à l’éternité.
C’est Aiôn qui nous permet la patience de mûrir, la maturité, la gestation.
Quand on dit « Mrityor ma Amritam Gamaya » : conduis nous de la mort à l’immortalité, c’est conduis nous de Chronos (qui nous entraîne vers une mort, disparition) vers Aiôn, Amritam, l’immortalité.
Dans le mantra : Tryambakam (Shiva) Yajamahe, sugandhim (plein de bonté) pushtivardhanam
 urvaryu (C’est ce qui mûrit et quand c’est mûr on peut accoucher. II faut de la patience.)

J’ai rencontré Swami Muktananda qui racontait un dialogue entre une petite pomme verte et une pomme bien rouge La pomme verte et acide dit à la pomme mûre :
«  Comment ça se fait que tu es rouge, sucrée, délicieuse, pleine de jus…et pas moi ? »
Elle lui répond «  tu n’es pas restée reliée à l’arbre. Je me suis gorgée de sève, de soleil et je suis restée en reliance. Et à un moment j’ai mûri. Mais toi si tu es trop impatiente et tu te décroches, tu restes verte.» Ça donne l’idée d’urvaryu, aiôn, d’être dans ce temps du centre, ce temps vertical.
– Kairos c’est l’instant ressenti comme décisif qui relier le centre à la circonférence. C’est comme le rayon. On peut être à la fois au centre dans l’Essentiel et attraper, se saisir de cet instant que l’on est en train de vivre. Kairos est une porte vers une autre perception de l’univers. Kairos nous permet de saisir une sorte de faille dans le temps. C’est le pompon des manèges, la déesse Opportuna, c’est très bien d’être opportuniste, fluide. Kairos est un dieu, avec une touffe de cheveu (un peu comme les hurons) et il passe toujours en courant. Généralement il est nu et le corps enduit d’huile. On ne peut le saisir qu’aux cheveux.
Quand il passe il y a trois possibilités :
– on ne le voit pas, parce que l’on ne l’a pas dans l’œil. Pour voir quelque chose, il faut l’avoir dans l’œil, le pré-voir,  l’avoir en soi pour pouvoir le voir à l’extérieur, regarder d’une certaine façon. Kairos passe tous les jours, plusieurs fois par jour, si je l’aime, je peux le saisir.
– On le voit mais on ne fait rien parce que l’on hésite, on veut réfléchir, on pense que ça reviendra. Souvent on ne peut pas recevoir Kairos parce qu’on l’a attendu d’une certaine façon et qu’il n’a pas forcément l’apparence que l’on aurait voulu.
– Au moment où il passe on le saisit aux cheveux. Mais devant toute chose il faut laisser advenir et considérer. Considérer si ça va dans le sens dans lequel je construis ma vie. Est-ce que c’est compatible avec le sens que je donne à ma vie, vers la conscience du Centre ? Donc ce n’est pas seulement l’instant présent, c’est aussi l’instant (SAT) en conscience (CIT) et c’est là que ça peut devenir ANANDA.

Chez les Celtes il y a des moments où l’on peut se glisser dans les failles du temps (les irlandais parlent du SID) surtout au nouvel an, le Samain, qu’on appelle maintenant Toussaint. Dans les légendes, souvent reprises dans les contes, on retrouve cela. Par exemple Tom le poète est saisi dans le monde des fées, il y passe trois jours merveilleux et quand il revient tout le monde est mort depuis longtemps, son château est en ruine, en fait il s’est passé trois siècles. Ou inversement dans d’autres contes, la personne est dans le monde des elfes et quand elle revient elle tombe en cendres, dans un autre temps. Cela veut dire que les temps ne coïncident pas. Nous vivons aussi cela, le temps des insectes, le temps des pierres, des arbres, des étoiles…Tous ces temps sont différents. Gardons conscience qu’il y a plusieurs mondes et ça nous donne l’idée que nous sommes dans un temps avec nos compagnons humains, mais que ce temps-là est un temps parmi d’autres. Si l’on revient au centre on peut considérer le temps immuable au centre, entrer dans la musique des sphères,  et toutes les roues, les mandalas qui s’imbriquent les uns dans les autres, en harmonie, comme ces grandes horloges où tout s’entraîne, s’enchaîne,  et rien ne se confond.  Cette conscience peut nous libérer de l’inquiétude du présent d’aujourd’hui. Nous pouvons être dans cette jubilation d’être une goutte de conscience dans l’océan et en même temps l’océan entier. Moi en TOI et TOI en moi.

Le présent : on nous parle beaucoup de l’instant présent (Eckhart Tolle) mais en fait il n’existe pas. Au moment où je le nomme, il est passé. L’instant présent est absolument relié au passé, à nos racines, à notre karma, à nos choix. C’est inutile et parfois dangereux de dire : «Je vis dans l’instant présent, le passé c’est pas mon affaire ». C’est une façon de se décharger de toutes responsabilités, dans l’illusion qu’il n’y a pas d’avenir à semer et il n’y avait pas de passé qui a semé la graine (karma).
Je viens de voir le film ADN, que je vous recommande, décrit cette idée de racines, d’où on vient, de qui on vient et ce que l’on peut en retirer de meilleur. Parfois notre présent est en mode automatique (nous sommes absents au présent) ou alors il est encombré, en tension. Choisir de ne pas tout faire et donc renoncer, c’est libérateur. Ne plus s’encombrer. Merci Shiva !
Derrière cette peur du temps il y a la mort. Nous sommes sûrs qu’elle va venir et qu’elle va nous arrêter, alors que nous n’aurons pas fini. Ecoutons ce très beau texte chanté par Reggiani.
L’instant présent peut être célébré si on lui donne du sens et si on le vit avec nos sens, pas dans la tête. Alors on peut s’épanouir dans l’instant présent, trouver un autre temps, parfois dans un rythme lent pour mieux savourer, et parfois en vivacité comme une danse.

L’avenir ne doit pas être en tension, en attente, mais il se prépare. Nous semons aujourd’hui ce qui va fleurir demain, en confiance sans attente. Si on a une attente on se gâche l’avenir. On revient à ce consentement face à ce qui va advenir, qui nous dépasse et est au cœur de nous, le SOI, la déesse, le centre… On ne commande pas le centre, le temps nous ramène inexorablement à notre impuissance.

Le passé : Il colore le présent. Et pas seulement le passé vécu, mais aussi celui de tous nos ancêtres. Nous portons en nous des mondes et des temps anciens. Il peut être considéré par différents mots, commençant par R.
– Le regret : ça enlise, c’est stérile, ça bloque le travail de libération. Il manque la danse de Shiva
– Le refus : c’est un déni qui diffère le travail d’acceptation. Tout ce qui a eu lieu doit être accepté. Ne pas dire « ça je ne pourrais jamais le digérer ». C’est faux. Notre tuyau digestif de la bouche à l’anus doit fonctionner, on n’a pas le choix, sinon on fait une sorte d’occlusion intestinale psychique.
– La rage qui alimente l’impuissance fondamentale. Ça détruit et souvent on la reporte sur l’entourage et ça génère beaucoup de violence dans les rapports humains ou envers nous-mêmes.
– un refuge dans les souvenirs, ça peut être un piège ou un ressourcement. Sharanam, c’est prendre refuge au centre, au cœur de l’essentiel. Prendre refuge n’est pas s’isoler d’autrui ; Parfois vivre une vie intérieure est associé à un isolement. Le refuge est dans une médite-action.
– Le ressassement : on peut le voir dans la méditation quand le mental tourne et quelquefois ce rabâchage peut empêcher le pardon. Mais il est intéressant de le voir parce qu’il souligne ce que l’on doit travailler, ce à quoi nous devons consentir.
– Le remord met en enfer. Il peut être une jouissance perverse de la culpabilité sans issue. «Je ne pourrais jamais me pardonner ça…. » Dans le christianisme c’est le refus du repentir.
– Le repentir délivre. C’est demander pardon, se demander pardon. Il pose le poids de la culpabilité et il répare. On accepte d’être pardonné. C’est le bel enseignement du christianisme. A l’origine les confessions (cum et foi) c’était dire sa foi ensemble, c’était des groupes de paroles. Ce n’est pas poser le poids pour se plaindre mais c’est en partage pour obtenir le pardon. Le repentir est toujours face à quelqu’un, un témoin. On retrouve cela dans les thérapies, psychanalyse… …Et il est intéressant de voir l’évolution de l’image de Dieu. Il y avait un sacrement, la pénitence qui est devenu le sacrement de réconciliation.
– La résilience en physique est la résistance aux chocs d’un métal. Une forme d’élasticité qui permet de ne pas être cassé par les épreuves. Elles nous ont transformés, nous rendant vulnérables mais aussi plus humains.
– La réconciliation avec le passé féconde le présent et permet l’avenir. C’est pourquoi on doit revenir sur son passé .C’est une réunification du passé, présent et avenir par la gratitude et par l’élan.

Engagés dans l’incarnation, donc dans l’espace-temps, nous sommes invités à évoluer librement dans une existence éphémère en étant reliés à l’immuable, le noyau de notre être. Et la tentation est parfois grande de fuir dans un des pôles extrêmes…Se situer dans le temps sans en être prisonniers nous amène aussi à creuser le thème de la lignée et de la transmission, la gratitude d’être traversés comme perles de mala…