« AIMER EN JOIE »

Transcription de l’enseignement oral du Zoom de février 2022.

En Février, je suis partie de l’apparente opposition entre la parole de Bouddha « Sarvam dukham » qui vient des upanishad et la formule décrivant la posture : « sthira sukham asanam ».
Pouvons-nous être heureux tout en étant sensibles, reliés par la compassion à tous les êtres souffrants ?
Aimer en Joie ?
Voir lucidement le monde tel qu’il est (ou semble être) et garder le sourire, la quiétude ?
Qu’en pensez-vous ?

Et voici les traces des questions dans les fragments de réponses, texte éclaté, vivant échange.

Dans la reliance ce n’est pas ce que l’on dit ou ce que l’on fait qui importe, c’est cette profonde foi confiance que nous sommes accompagnés, que nous sommes aidés et que nous sommes le lieu (KHA le centre) là où s’épousent les contraires.
On tient le fil des 2 côtés, on tient ensemble, au cœur, ce qui peut être vécu et nous sommes toujours sollicités dans cette danse du samsara, sur la circonférence mais aussi au centre.
Inutile donc de croire que notre quiétude paix (shanti) va être un endormissement  ou une sortie des tribulations de l’incarnation ….
Je répète cette phrase de Swami Nityabodhananda :
« L’incarnation est une étape nécessaire pour éprouver le déchirement de la contradiction qu’elle implique et pour exercer sa liberté à la transcender » ….
Nous sommes dans une dualité. C’est notre exercice de cette vie.

Il y a des aides pour « éprouver », exercer sa responsabilité, traverser ce « stage d’incarnation.
Je transmets et  partage ce qui me soutient, comme ce mantra ( lien vers ce mantra) qui m’habite en ce moment.
C’est une approche de l’infini, ici la Présence prend le nom et la forme de Shiva, inséparable de la Shakti.
Karpuura-Gauram  Blanc comme le camphre qui brûle sans laisser de cendre, lumière pure de la neige (Hima en tibétain), encens qui brûle.
Karunna-Avataaram incarnation de la compassion qui n’est ni pitié ni même empathie dans le sens de ressentir et souffrir de la douleur de l’autre mais ouverture totale à l’Amour qui nous traverse sans que nous le possédions. Comme le lotus distribuant son parfum et sa beauté, inscrit dans la réalité de la boue nourricière mais pas enfoncé, submergé par émotions et sensibilité centré sur soi et sa fragilité.
Samsaara-Saaram
   Essence du samsara. Samsara c’est la danse de tout ce qui existe avec tous ces rayons qui vont dans tous les sens et on dit à Shiva : tu acceptes tout ce qui se passe, il y a le haut le bas l’horrible et le merveilleux, tu ne résistes pas aux mouvements de la vie, aux mouvements constants de dissolution et d’apparition C’est très tantrique. On ne cherche pas le nirvana, on ne cherche pas à s’extraire ou se couper de quelque chose mais à se mettre au centre.
Bhujage Indra-Haaram Tu es orné du roi des serpents (Kundalini), spirale qui t’entoure, est en mue constante, relie tout et danse. Toujours en mue et renaissant.
Sadaa-Vasantam  Hrdaya-Aravinde
toujours présent dans le lotus du cœur, évidence de la joie au Centre. Cœur qui nous aime.
Bhavam Bhavaanii Sahitam Namaami
Nous saluons Shiva inséparable de Shakti. La saveur des  épousailles intérieures amour au-delà de la dualité.

Comment pouvons-nous « aimer en joie » comme on le demande dans la prière à Saint Michel Aimer nous rend sensible et cela nous fait souffrir. Nous sommes des apprentis de l’amour et on ne sait jamais si on aime vraiment bien.
On essaie de se laisser traverser par cet Amour qui est bien plus grand que nous et que humblement nous incarnons, comme nous le pouvons et comme nous l’apprenons au fil du temps.
Un amour dans le détachement, pour nous, c’est vraiment un apprentissage et nous aimons au risque de perdre par la mort, la maladie, l’éloignement, la différence par le fait que l’autre change, que nous changeons…
il y a vraiment un pari de s’ouvrir à ce qui peut faire mal, on va au-delà du mal, aimantés, aimants.

Et puis, aimer en joie, c’est aussi accepter profondément ce qui est (SAT) en conscience (CHIT).
La conscience infinie que nous rejoignons dans la méditation et cette conscience infinie est purement ANANDA, Joie, au-delà du bonheur ou du malheur, de la souffrance, c’est une joie infinie.
SAT CHIT ANANDA 
que nous sommes et reconnaissons en l’autre.
Aimer, prendre soin de l’autre, doit partir de cette source de joie infinie et là c’est KHA, c’est le gond de la porte qui peut s’ouvrir et se fermer. Si la porte est dégondée, sortie de ses gonds, désaxée, ça ne fonctionne plus.
On peut voir tout tourner et rester stable au milieu, comme quand on est en méditation, on peut voir passer des pensées, ce n’est pas grave.
C’est comme des nuages…nous ne sommes pas cela.
Nous sommes témoins spectateurs, aimants, aimés, au centre. Alors là c’est SUKHA, c’est un bonheur.
Mais si on est sorti du Coeur, c’est DUKHA (souffrance). L’enseignement des upanishad, repris par le Bouddha, c’est sarvam Dukham : Tout est souffrance. µ
Dans son côté souvent mal compris, caricaturé, cela dit que tout est manque, tout est souffrance, on n’est pas comblé, l’incarnation est une misère dont il faut sortir.
Mais ce n’est pas du tout un message négatif, doloriste comme on peut le croire parfois , c’est un évangile, c’est une bonne nouvelle.
Le Bouddha dit « on peut s’en sortir », il y a une voie du bouddhisme. Voie du milieu .Libération du désir égocentré.

C’est souvent mal accepté si nous témoignons trop  notre joie. L’autre qui est en souffrance, si on lui dit «  il y a un lieu en toi qui est joie infinie ».
S’il n’en a pas fait l’expérience, c’est intolérable. Il faut adoucir, il faut trouver du comment faire.
Qu’est ce qui est juste ? Et c’est au cas par cas. Dans la relation, on est sans cesse à ajuster.
Jean Yves Leloup dit «  ce qui est juste, c’est ce qui s’ajuste ».
Donc on essaie de voir d’où vient la souffrance. Elle vient du désir du petit moi, que tout s’ajuste à nos attentes.
Quand on se sent impuissant, on voudrait sauver le monde….ne pas être heureux tant qu’il y a un malheureux sur terre, c’est le vœu du bodhisattva dont la caricature est un empêchement au bonheur, une honte d’être privilégié.
« Je ne veux pas avoir pour moi tout seul la joie et le bonheur ».
Si ce vœu n’est pas centré, il n’est pas SuKha, il est Dukha.
On est pris dans l’archétype du sauveur. Bien sûr, quand on sème on voudrait bien que ça pousse.
Mais on ne tire pas sur les poireaux pour les faire pousser ! Je fais ma part, j’offre, et on verra.
Le mot désir est terrible parce que dans le tantrisme on dit que c’est le désir qui fait tourner le monde, qui fait danser Shiva et  la shakti, c’est une des plus belles métaphores de la vie. Spanda c’est l’union amoureuse, l’attraction entre les êtres, c’est l’aimantation, le cantique des cantiques… La vibration infinie.
Beaucoup ont cru qu’il fallait renoncer au désir pour trouver la paix. Mais quelle paix ? Une paix de joie ou une paix d’avoir tout anesthésié tout congelé ?…
En fait ce n’est pas ça , le bouddhisme, l’hindouisme, le christianisme, la sagesse que demande le yoga …Il y a un désir profond que la vie  s’exprime c’est nous qui avons accepté ce stage dans l’incarnation, dans la dualité.
Nous avons dit oui, après nous pouvons dire non toute notre vie, non pas ça, pas comme ça, vivement qu’on s’en sorte….Mais nous sommes là, convoqués là.
Cependant si le désir est centré sur la plainte du petit moi qui se croit séparé, alors c’est source de souffrance, oui.
Nous sommes engagés dans cette vie que nous devons éprouver. Mais éprouver pas seulement dans le malheur.  Il y a de la sensibilité dans éprouver ce n’est pas se réfugier.

Je reviens à l’alchimie, «Visita Interiora Terrae », c’est vis tout ce qu’il y a à vivre. Visite ta matière première et ensuite «Rectificando» : c’est se mettre au centre KHA. C’est-à-dire tu travailles cette matière, tu exerces ta liberté. A ce moment-là « Invenies Occultum Lapidem » cela se résume par V.I.T.R.I.O.L.  C’est cette idée de plonger dans la matière, de la pétrir, de ne pas rater son incarnation en essayant de s’en sortir.
Rater la fraternité d’aimer et de souffrir de voir par exemple ceux que l’on aime se faire du mal.
Ne pas savoir, on ne sait jamais,  mais tenter quand même. Ne pas être insensible. Et toujours rectificando.
Être
dans cette droiture comme l’ange Zacchiel qui correspond à ajna qui est le chakra du commandement, de la décision et de la connaissance. Donc ne pas se laisser embarquer dans la pitié ou dans la contagion du malheur. En ce moment il y a une pandémie de rage impuissante, de déni et d’accusation d’intolérance.

Cela ne m’étonne pas que certains aient bien vécu le confinement. On a été isolé et en espoir d’une prise de conscience planétaire.
0n ne va pas se sauver les uns sans les autres. Il s’agit de retrouver le centre, le cœur.
Là ce n’est pas fatigant. C’est le centre de la roue. C’est allier  ressentir la peine et ne pas être la peine, ressentir la joie parce qu’on décide d’y aller et essayer de devenir la joie et se laisser habiter par plus grand que soi. En même temps, être des apprentis dans la relation. On ne peut pas dire à celui qui est en peine : « va au centre de toi, touche la gratitude, laisse toi toucher par la beauté, la bonté et essaie de toucher cet espace où tu es témoin spectateur et témoignage…. » C’est ce que nous nous disons à nous même. Mais pour celui qui souffre c’est insupportable.

Je reviens au bouddhisme. Quand nous avons la connaissance que nous sommes à côté de la plaque, que nous ne sommes pas au centre, que nous ne sommes pas dans le vrai désir spanda, dès que l’on veut enfermer la vie, que l’on nage à contre-courant, il y a une vraie souffrance.
Donc il faut se débarrasser de ce désir. Mais cela peut être compris comme se débarrasser de toute sensibilité, de toute fraternité.
J’ai connu des groupe où il se disait « c’est son problème » Peut-on dire cela lorsque nous sommes en face d’une personne. ?
Tout est relié, donc on ne peut pas dire « c’est son problème » par certains côtés.
En même temps nous pouvons distinguer ce qui l’emprisonne et dire « ça va la faire souffrir tout le temps ». On peut voir par exemple la souffrance de la rupture. La souffrance de vivre avec quelqu’un qui est insupportable. C’est une souffrance qui nous invite à trouver comment se libérer. Il n’y a pas que ces ruptures-là. La conscience d’avoir perdu  charnellement quelqu’un que nous aimons tant et qui est toujours là. C’est la souffrance du deuil on peut la vivre dans une acceptation, une conscience, une lumière profonde (SAT CHIT ANANDA) ou bien la vivre en se détruisant et en détruisant tout. C’est l’attachement qui est la cause de la souffrance et il y a une voie pour s’en sortir, c’est la quatrième vérité, c’est retrouver le centre, danser avec Shiva, pouvoir célébrer la reliance profonde et rester en lien dans la dualité.

La culpabilité c’est une accusation de soi ou des autres. C’est vouloir expliquer ce qui n’est pas explicable. Lors d’un traumatisme important qui ne trouve pas sens, la culpabilité permet d’éviter la folie. Elle permet une explication. Soit une accusation extérieure  (l’autre est mauvais) soit une accusation envers soi ?
Mais au moins on ne devient pas fou. On donne du sens à l’épreuve.
Souvent la culpabilité prend bien parce que  c’est notre pulsion éthique notre besoin de profonde justice. C’est évident on ne fera jamais assez.  On va toujours vivre l’insatisfaction (satis : assez en latin). Et là on retrouve le manque. JAMAIS ASSEZ.
Inutile d’accuser les religions qui auraient nourri la culpabilité. C’est dans notre inconscient.
Tout idéal nourrit la culpabilité. C’est à nous de trouver où tolérer l’intolérable. C’est la posture, le positionnement, le repositionnement dans son centre, se mettre à sa place  (KHA). Réopérer ce changement de plan, de centre et  se décentrer de ce violent désir que les choses soient autrement que ce qu’elles sont. C’est délicat car nous sommes confrontés à la détresse.
On ressent la peine. Jusqu’où ? Pas dans tous les plans.
Quand on est avec l’autre, (LEVISNAS) le visage de l’autre c’est le visage du divin et il nous touche au-delà de tout, c’est l’entre deux, l’entre Dieu. Alors on ressent la peine. On peut en même temps ressentir ce lieu de silence et de  prière et éprouver les 2, éprouver et exercer. On n’est pas en marbre, on n’est pas arrivé quelque part, délivré vivant et au diable les autres. Mais ce n’est pas non plus l’insensibilité.  Là, au Cœur,  on ne ressent pas la peine, on ressent la joie.
On est en SAT CHIT ANANDA. Comment faire ?
C’est devenir saint, yogi.
Comme Jésus. Il se balade il est entouré de gens qu’il soigne. Comment peut-il donner la clé s’il n’est pas lui-même la clé ?
Dans une profonde joie.
Parfois il « aide », parfois pas. Il n’a pas à faire des miracles sans arrêt. Il ne s’extrait pas de la souffrance même il la vit complètement.
Le Bouddha, lui,  donne la voie. Après dans le bouddhisme, c’est les 4 vérités, puis l’octuple sentier…etc. il y a toutes les déclinaisons complexes de cette voie…comme dans le judaïsme.
Il faut revenir au centre, revenir à des choses simples.
Etre avec la vie, avec l’autre tel qu’il est  et en même temps (Spinoza) être au centre.
Savoir que l’on est un petit rien du tout et ce qui va pouvoir aider, c’est ce qui passe à travers nous, que nous ne sommes pas, que notre petit moi n’est pas… Mais nous sommes aussi cela, nature de Bouddha, fils et fille de Dieu… Nous sommes CELA, ancrés dans une joie qui est au-delà du bonheur et du malheur.
Incarner la compassion (KARUNA) : Être vraiment juste, mais en étant au centre KHA. On participe avec tous les rayons.  Être vraiment là, tout voir, tout vivre sans être emporté. Il n’est pas question d’être insensible.
Faire du bien: la toute-puissance c’est  si le petit moi veut récupérer sans que quelque chose soit passé à travers nous, qui ne nous appartient pas. Et il s’en réjouit il a le droit de s’en réjouir, mais la joie que l’on veut posséder n’existe plus. Le bonheur est fluctuant, c’est samsara.
On ne peut pas saisir, par exemple notre joie de donner. Allumons la bougie, nous ne sommes pas la flamme, mais nous sommes responsable de la bougie. Nous ne sommes pas la lumière et nous n’avons pas à l’imposer aux autres.
Ajit disait : « Le guru allume son feu dans sa hutte (on voit la flamme parce que les parois tressées sont transparentes). Il l’allume pour tous, mais il ne fait pas le chemin. L’autre doit faire le chemin pour venir chercher la lumière. S’il n’y a pas eu un cheminement pour exercer sa liberté, cela ne sert à rien » C’est aussi l’enseignement du Petit Prince…
On peut proposer et non imposer. C’est dur parce qu’on ne peut pas méditer, prier, pour l’autre.
On ne peut pas accepter pour l’autre et même l’autre de nous. On est dans notre petit moi qui voudrait goûter la libération.
Un peur comme l’ado qui se suicide et voudrait voir son enterrement pour évaluer l’impact sur les autres.
Mais quand on est dans cette joie imprenable, il n’y a pas de saisie, pas d’inscription dans le temps. Par exemple, dans la méditation personne ne peut dire combien de temps il a médité, ça ne dure pas. On peut s’asseoir, être dans une position propice, mais quand on est dans Samadhi, le temps n’existe plus on s’exerce, on change de plan.